La réalité augmentée…de peu.

Nous n’aimons pas le réel. C’est, du moins, ce qui se déduit lorsque la formule suivante est utilisée « Quand la réalité dépasse la fiction« . Avec cette formule, nous affirmons que la réalité est plus étonnante, plus riche de surprises que la fiction. Ne nous leurrons pas. « On ne prête qu’aux riches » dit le proverbe populaire ; dans le cas présent, celle à qui l’on prête crédit d’une richesse, celle d’invention, c’est bien la fiction puisque celle-ci devient le modèle de la réalité. Ce réel devient digne de notre attention du fait qu’il devient incroyable.

Une ou plusieurs réalités

Cela s’entend donc comme un jugement sévère et injuste par les hommes qui ont une piètre opinion du réel.

Il faut que le réel, c’est à dire ce qui est, rivalise avec ce qui n’est pas, autrement dit la fiction, pour que nous décidions de lui accorder de l’attention. Nous vivons dans le réel certes, mais sans attention. Aussi, la célèbre maxime n°26 par La Rochefoucauld :  » Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face  »   n’est pas si complète que cela car nous avons encore plus de difficulté à voir la réalité en face. Celle-ci est bien trop monstrueuse par ses manifestations multiples pour laisser nous l’appréhender en un seul regard ou pour saisir par la pensée ses limites et sa configuration.

Si nous prêtons tant d’attention aux faits qui font relief et qui sortent de l’ordinaire, comme le ferait un plat cuisiné avec des ingrédients dont la saveur n’est pas connue de notre palais, c’est que nous percevons le réel avant tout comme terne, uniforme visuellement et répétitif. De fait, nous ne percevons pas le réel ; nous attachons avant tout aux événements qui, comme autant de bulles qui émergent de la surface de ce fond sans forme, accaparent notre attention en étant persistant plus ou moins longtemps et dont la durée de présence n’est pas la garantie que nous les remarquions plus aisément.

Ces « faits événementiels  » forment pour nous le réel. Il faut le rappeler, notre indifférence ou notre incapacité à tout percevoir s’explique par le fait que nous sommes, pour la plupart d’entre nous, « offusqués » par les multiples faits qui se produisent. Ce n’est que lorsque l’un de ces faits apparaît comme un accident ou une catastrophe, qu’il devient aussitôt un événement et qu’ainsi la réalité rejoint la fiction. Alors Le réel se voit attribué un curieux statut ; nous reconnaissons bien qu’il s’agit de la réalité mais celle-ci est enrichie d’un supplément fictionnel qui fait irruption dans le champ de notre conscience et, aussitôt, nous sommes amenés à déclarer le caractère incroyable voire irréel de ce spectacle que nous offre le réel. Cette fusion du réel et des événements n’est peut être pas incongrue, c’est du moins ce que pense un philosophe comme Ludwig Wittgenstein qui affirme que dans son tractacus logicus édité en 1921 : « Le monde est tout ce qui a lieu« .

Quoiqu’il en soit, que le monde soit fait de multiples réalités ou d’une réalité cachée par des événements, nous sommes donc loin de tout percevoir et encore moins aptes à prévoir ce qui va advenir…Et ce n’est pas la réalité augmentée qui nous y aidera car, à l’exception de Pokemon et autres niaiseries infantiles pour adulescents et adultes immatures, il n’y a pas encore eu une démonstration faite qui prouve que les Google Glasses, ou les autres terminaux numériques portables, aient apporté la moindre connaissance de ce réel, qu’elle soit cachée ou manifestée par les événements. La réalité augmentée, comme elle est désignée ainsi, ne l’est jamais suffisamment et, de plus, elle ne l’est pas pour la connaissance du réel même, mais pour le divertissement qui est l’autre nom de la pompe à « phynances »du Père UBU de ce siècle. Lorsque plusieurs nations de l’union européenne auront un gouvernement d’extrême droite, ou du moins d’un nationalisme exacerbé et cynique, car tout en étant europhobe ces gouvernements profiteront des subsides de l’Union Européenne, lorsque ces gouvernements œuvreront à l’affaiblissement de l’Europe, voire à son démantèlement, lorsque les peuples européens oublieront la paix présente pour rêver d’une prospérité égoïste hypothétique, alors nous pourrons dire que nous vivons une fiction réalisée.

Cette réalité, augmentée d’une hypothèse qui se réalise, sera le fruit des actions combinées du vote des citoyens et d’une réalité indépendante qui n’est pas assez prise compte. D’ailleurs, n’est ce pas ce que nous vivons ? Ce qui demeure étonnant c’est que nous ne donnions pas à cette fiction réalisée en acte le nom de catastrophe. Peut-être est ce du au fait que, contrairement à d’autre forme de catastrophe, celle-ci ne fait pas irruption brusquement et avec violence ; tout au contraire, il s’agit d’une réalité lente, qui se forme au grand jour, avec des progressions rapides et des stagnations, que l’on juge comme des reculs mais dont la configuration est difficile à appréhender pour celui qui n’est pas attentif. À défaut d’aimer la réalité, il nous faudrait peut-être au moins prendre en compte sa présence et ce ne sont pas les terminaux numériques qui vont nous y aider.

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