Après les élections en Bavière : une scène politique allemande en pleine ébullition

Défaites et victoires étaient annoncées lors des élections en Bavière du 14 octobre. À quelques nuances près, elles se sont produites comme les sondages le prédisaient dans ce Land de près de 13 millions d’habitants et de 9,5 millions d’électeurs.

Les Chrétiens-sociaux (CSU) perdent 10,5 points mais restent, malgré tout, la première force politique de Bavière, avec 37,2 % des suffrages. Les Verts gagnent 8,9 points par rapport à 2013 et occupent, avec 17,5 % des voix, la seconde place. Un succès annoncé mais peu commenté. Or ils sont les vrais gagnants de ces élections régionales.

Le SPD qui, depuis quinze ans ne parvenait pas à dépasser les 20 %, voit son résultat divisé par deux : il perd 10,9 points et n’obtient que 9,7 %, un résultat tel qu’il a même provoqué l’apitoiement du ministre-président CSU en exercice, Markus Söder. Longtemps, il a été possible d’expliquer l’incapacité du SPD bavarois par la suprématie incontournable de la CSU, ce n’est plus aujourd’hui possible et cela rend cette défaite historique du SPD plus cuisante encore.

Le parti populiste AfD reste, quant à lui, en dessous des pronostics : crédité jusqu’au soir des élections de 14 à 15 % des intentions de vote, il n’a obtenu que 10,2 % des voix – un résultat en net retrait par rapport aux 12,6 % obtenus aux élections fédérales du 24 septembre 2017 (12,4 % dans le seul État de Bavière). Certes l’AfD est désormais représentée dans tous les parlements régionaux d’Allemagne comme au Bundestag, mais sa montée apparaît aujourd’hui résistible.

Avec 5,1 % des voix, les Libéraux (FDP) parviennent de justesse à être représentés au Landtag de Munich, tandis que La gauche (Die Linke), malgré une progression de 1,1 point (pour un total de 3,2 %), reste en deçà du seuil des 5 %.

Peu représentée au niveau fédéral, mais très active en Bavière depuis la fin des années 1990, la formation des Électeurs indépendants (Freie Wähler, FW) progresse de 2,6 points et occupe, avec 11,6 % des voix, la troisième place derrière la CSU et les Verts. Ce score est d’autant plus important que nombre de ses adhérents sont d’anciens membres de la CSU qu’ils ont quittée en raison de désaccord sur ses évolutions. Ils apprécieront sans doute de devenir la force d’appoint dont la CSU aura besoin désormais pour gouverner…

La CSU a annoncé, le soir même des élections, son intention de constituer avec elle un gouvernement de coalition. Un appel entendu, la FW ayant déjà réclamé, par la voix de son président Hubert Aiwanger, trois postes de ministres.

L’erreur insigne de la CSU

Un premier constat s’impose : l’Allemagne va bien mais son électorat n’a, en 2017, renouvelé qu’en rechignant sa confiance à Angela Merkel. La Bavière se porte encore mieux que l’ensemble de l’Allemagne, mais son électorat a fortement réduit la confiance qu’il avait dans un parti pourtant étroitement associé à son succès économique : croissance de 2,8 %, taux de chômage de 2,8 % également, le plein emploi dans un Land qui – avec un PIB de près de 600 milliards d’euros en 2017 – participe le plus fortement à l’ensemble du PIB allemand.

Selon les études faites par l’Institut Infratest-dimap pour la première chaîne de télévision allemande (ARD), la CSU a commis l’insigne erreur de miser sur un seul sujet, celui de l’immigration, pour contrer la montée du populisme dans le pays. Un choix personnifié par le président du parti, Horst Seehofer, à qui 66 % des personnes interrogées reprochent la zizanie qu’il a semée au sein du gouvernement fédéral en ne cessant d’attaquer la chancelière sur ce point. Pour 56 % des électeurs, c’est bien lui qui porte la plus grande part de responsabilité dans l’état actuel de la CSU, loin devant Angela Merkel avec 24 % et Markus Söder avec 8 %.

Élu ministre-président depuis seulement quelques mois, celui-ci n’a pas encore acquis la confiance des Bavarois. Il a, de plus, le handicap d’être originaire de Franconie, souvent en délicatesse avec la Bavière historique. La CSU a surtout perdu des voix au profit des Électeurs indépendants (220 000), des Verts (190 000) et de l’AfD (160 000).

La politique migratoire, quatrième sujet de préoccupation des Bavarois

C’est quasiment pour la même raison que la CSU que l’AfD n’a pas progressé : elle a misé uniquement sur le thème de la politique migratoire alors que ce n’était que le quatrième sujet de préoccupation des Bavarois, loin derrière l’école, le logement et le climat.

Le SPD bavarois a, en gros, les mêmes problèmes que le SPD au niveau national quand Martin Schulz en était le président. Sa présidente, Natascha Kohnen, a acquis une certaine réputation mais, pour 80 % des électeurs, elle n’est pas arrivée à préciser ce pourquoi le SPD se battait, faute d’un grand thème central mobilisateur. Ce sont les Verts à qui revient la palme de défendre la justice sociale, le thème historique du SPD.

Et ce sont les Verts, justement, qui se sont trouvés le plus en adéquation avec leur électorat qui leur reconnaît le plus de compétences en matière de défense de l’environnement, du climat et… de justice sociale, ainsi que pour promouvoir une politique sociale du logement.

Près de 60 % des électeurs verts appelaient de leur vœu la formation d’une coalition entre les Verts et la CSU pour infléchir la politique de cette dernière. C’est désormais un vœu pieux, quand bien même Markus Söder entamerait-il des pourparlers avec tous les partis représentés au Landtag de Munich, sauf l’AfD.

Le patron de la CSU dans la tourmente

Quelles seront les conséquences du scrutin bavarois au plan national ? L’analyse réalisée par l’Institut Infratest-dimap fournit un premier élément de réponse : elle confirme en effet deux choses essentielles. La première : ce n’est plus la politique migratoire qui importe – Angela Merkel a d’ailleurs fortement infléchi sa ligne depuis 2015. Les électeurs souhaitent passer à d’autres sujets tels que l’environnement et le climat.

Ils n’admettent pas non plus qu’un ministre fédéral sème la discorde dans son propre camp à des fins opportunistes et fasse de sa querelle personnelle avec la chancelière la référence de toute chose. Les premières voix se font, d’ailleurs, entendre au sein de la CSU pour réclamer son retrait de la présidence de la CSU. Ce qui induirait forcément son retrait du gouvernement fédéral.

Le débat qui est ouvert n’est donc pas celui de la succession d’Angela Merkel, mais bien celle de Horst Seehofer. Certes, de nouvelles échéances attendent la chancelière : tout d’abord les élections en Hesse le 28 octobre prochain, un Land actuellement dirigé par une coalition CDU-Verts ; puis le Congrès fédéral de la CDU en décembre au cours duquel Angela Merkel, soutenue en cela par de nombreux ministres-présidents chrétiens-démocrates, briguera à nouveau la présidence.

Mais ce Congrès sera, à n’en pas douter, un champ ouvert pour ses opposants internes. D’autres candidats se sont déjà déclarés pour favoriser le renouveau du parti. Leurs scores seront scrutés à la loupe.

Le pluripatisme à la hausse

À lire et entendre les prises de position des différents leaders politiques allemands au lendemain des élections bavaroises, on ne peut que constater une certaine humilité face aux résultats de chaque formation.

Les deux partis de la coalition gouvernementale à Berlin ont perdu ensemble 21,4 points, un désaveu que ceux-ci ne peuvent ignorer. Mais à Munich, c’est la CSU plus que la CDU qui est mise en cause. On entend, par ailleurs, peu de voix qui appellent sérieusement à la fin de la grande coalition, un événement qui plongerait plus encore le pays dans les incertitudes d’élections anticipées.

Les seuls à remettre vraiment en cause la grande coalition sont ceux-là même qui en ont contesté la formation dès le départ : les représentants de l’aile gauche du parti et, en tout premier lieu, le président des Jeunes sociales, Kevin Kühnert. Ces derniers estimaient que le SPD n’avait rien à gagner à faire cause commune avec la CDU/CSU. La grande coalition risque donc de continuer, bon an mal, an son bonhomme de chemin, sans trouver de nouvel élan libérateur.

Les seuls à pouvoir se réjouir au lendemain des élections bavaroises sont les Verts, même s’ils ne disposent pas de stratégie de retour au pouvoir.

Les résultats du scrutin bavarois montrent aussi que l’électorat allemand en se tournant vers d’autres sujets que les problèmes migratoires s’oppose majoritairement à l’ascension du populisme de droite. La marche de Berlin, le 13 octobre, contre la xénophobie et le racisme est davantage significative, illustrant l’attachement à la démocratie, que les accès de fièvre extrémistes de Chemnitz et Köthen, en Allemagne de l’Est.

Les regards se tournent désormais vers la Hesse, un Land de plus de 6 millions d’habitants représentant un PIB de plus de 200 milliards d’euros, où le sondage le plus récent (datant du 3 octobre 2018) fournit la photographie suivante : CDU à 29 % ; SPD à 23 % ; Verts à 18 % ; AfD à 13 % ; FDP à 6 % ; La Gauche à 6 %.

La répartition des voix sur quatre formations rivalisant d’importance et deux autres de taille moyenne confirme bien l’évolution du système partisan allemand vers le pluripartisme.The Conversation

Jérôme Vaillant, Professeur émérite de civilisation allemande, Université de Lille

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Jérôme Vaillant
Professeur émérite de civilisation allemande at Université de Lille | Website

Professeur de civilisation allemande à l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3 depuis sept. 2000

Professeur de civilisation allemande à l'Université de Valenciennes (1988-2000) Maître de conférences à l´Université de Valenciennes (1980-1988)

Assistant à l'UER d'Etudes germaniques de l´Université de Lille III (1974-1980)
Lecteur de français à l'Institut d'Etudes romanes de l´Université de Cologne (1970-74).

Professeur contractuel de français à l’Institut français de Cologne (1967/74) et au Lycée Herder de Cologne (1967/68). Assistant français au Lycée J.-G.-Herder de Cologne (1965/66).

Responsabilités éditoriales et collaborations :

Directeur des Presses Universitaires du Septentrion de 2000 à 2014.

Rédacteur en chef de la revue Allemagne(s) d'aujourd'hui, revue d’information et de recherche sur l’Allemagne : Politique, économie, société, culture (Paris) depuis 1977

Membre du comité de rédaction de la revue Germanica (Lille 3) depuis 1995

Collaborations à La Quinzaine littéraire (Paris), Le Monde diplomatique (Paris), Revue politique et parlementaire (Paris), la Revue d´Allemagne (Strasbourg), La revue internationale et stratégique (IRIS, Paris) ; à la Radio sarroise (Saarländischer Rundfunk), au Westdeutscher Rundfunk, au Deutschlandfunk/Deutschland Radio (Cologne), à Deutsche Welle (rédaction polonaise), à Radio Canada (Montréal), France Culture (Paris), Radio France Internationale, etc...

Domaines de recherche : La politique culturelle française en Allemagne après 1945 ; division et unification de l’Allemagne ; système institutionnel et système des partis, réforme du fédéralisme ; relations franco-allemandes depuis 1945, intégration européenne

Directeur de recherche (doctorats) d’Anne-Lise Barrière, Janine Baude, Elise Bournizien, Elise Catrain, Marie-Hélène Devémy, Elise Lanoé, Laetitia Michel, Eric Penet; Elisabeth Wisbauer, etc.

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